Jour 2 :

Nuit courte : cinq heures d’une traite et puis plus rien… ça va être dur… A 03h55, la tectonique des plaques nous rappelle à ce qui relève presque désormais de la coutume : une petite secousse – elle s’avérera de magnitude 4.7 – qui ressemble davantage à un voisin du dessus qui aurait été pris d’une envie de courir lourdement, faisant un peu grincer la structure en bois.

Lever à 05h00 du matin. Rappel de l’objectif : tenter de trouver une place sur le pont Otowa, d’où est prise la fameuse vue des grues dormant dans le lit d’une rivière bordée d’arbres givrés et que, parfois, remontent un groupe de cerfs Sika. Beaucoup de conditions à remplir pour immortaliser cette carte postale, à commencer par des conditions météorologiques précises. Autant ne pas laisser planer le mystère : ce ne sera pas pour aujourd’hui ! Le ciel est très bas, très gris et il neige et vente.

Surprise lorsque nous nous apprêtons à mettre le nez dehors : il a neigé abondamment pendant la nuit et nos inquiétudes de la veille sur le manque de neige se trouvent alors tout à fait balayées. En parlant de balais, il faudra bien dix bonnes minutes pour que le tas de neige, qui hier soir encore était une voiture, puisse prendre la route. La conduite est tranquille : la poudreuse abonde, les pneus neige et la transmission intégrale font le reste.

Il neige de plus en plus et le vent s’y met : ça reste jouable et, au moins, il n’y aura pas le monde habituel. Évidemment, le paysage n’est pas celui de la carte postale, mais j’aime les ciels gris et le reflet dans l’eau donne une palette quasi tricolore – blanc, gris, noir – intéressante. Une bonne huitaine de grues font la grasse matinée dans le lit de la rivière, à l’abri du vent et de températures un peu moins clémentes quelques mètres plus haut, où l’eau est à l’état solide. Il devrait y avoir quelques bonnes photos.

Retour au ranch pour le petit déjeuner à 07h30, ce matin-là dans sa version « occidentale » : œufs brouillés, saucisses, salade, yaourt, toast, lait et café. Je suis content – et pas le seul – à attaquer la série des petits-déjeuners par autre chose que le traditionnel japonais.

Programme du jour : passer par le konbini du village pour quelques provisions de route, faire un tour par la brasserie artisanale Knot, tenter la chance de croiser des animaux, passer dire bonjour à la chouette de l’oural qui niche dans les bois à proximité du ranch.

La brasserie Knot est intéressante de par son offre relativement diverse et plutôt inhabituelle par chez nous, comme cette double IPA. Pas de stout : dommage. Les installations sont visibles à travers une baie vitrée et des panneaux explicatifs sont lisibles juste à côté. La production se fait uniquement en canette, environ 14000 par an : je ne sais pas si cela relève toujours de la micro brasserie, mais en tous cas ce n’est certainement pas une brasserie industrielle.

Déjeuner à Tsurui, dans un restaurant sans prétention mais où on se réconforte d’un repas savoureux et bon marché : tout à fait typique.

Pas de sieste, mais une ballade dans un bois à côté du ranch, où est censée nicher une chouette de l’oural : le chemin est pratiquable sans raquette et nous finissons par arriver à un point d’observation qui donne sur un bel arbre creux, où une chouette est en train de dormir. Contrairement au spécimen vu en 2014, celle-ci se contente de dormir, sans jamais ouvrir l’œil, ni s’étirer, ni bailler, ni jeter un rapide coup d’œil à droite ni à gauche. Peut-être parce que nous sommes encore loin de l’heure de l’envol, généralement au coucher du soleil (c’est après tout un oiseau nocturne) : nous verrons bien cela tout à l’heure, en revenant vers 16h30.

C’est parti pour une ballade en voiture le long du marais, ce qui nous permet d’observer de nombreux cerfs Sika : que des femelles et des très jeunes, pour le moment en tous cas. Où sont les mâles ? (air connu). Le marais est immense et, à peu de choses près, vit au rythme de deux saisons et de deux couleurs : blanc ou vert, avec des cours d’eau qui gèlent en tout ou partie dès que le débit n’est pas significatifs. Les cerfs sont très curieux, prudents mais pas craintifs : ils s’écartent plus ou moins lorsque la voiture approche, mais n’hésitent pas à nous observer, même parfois à pas plus de dix mètres. Contrairement à 2014, ils sont vraiment très nombreux et très présents : prolifération ? migration climatique ? Mystère.

Nous retournons au « bois de la chouette » après avoir déposé Balalou au ranch, qui préférait profiter du confort de la chambre et du wifi, plutôt qu’attendre une heure dans la neige et le froid qu’une chouette daigne décoller. Ne nous plaignons pas : il montre un réel intérêt et une réelle curiosité pour un voyage qu’il n’a pas choisi. C’est parti pour une longue attente : trois autres photographes sont là également et chacun prend son mal en patience, tout en vérifiant cinquante fois ses réglages. La lumière diminue rapidement et la chouette ne bouge toujours pas : alors qu’il devient presque impossible de la distinguer du tronc d’arbre – que ce soit à l’œil nu, dans le viseur de l’appareil, ou encore aux jumelles – vient le moment où l’on sait pertinemment que saisir son envol est devenu impossible techniquement, mais nous avons tous trop attendu pour partir maintenant. Il fait quasiment nuit lorsque la chouette, à nouveau sans prévenir comme sa congénère de 2014, prend un envol soudain et rapide. Un soupçon de dépit parcourt la petite assemblée, l’espace d’un instant, puis je ris parce que la nature reste naturellement la plus forte : quoi de plus naturel en somme ? Pour la petite histoire, j’ai tout de même réussi à déclencher à temps, mais tout ce qu’il sera possible de tirer de la photo, à première vue, est une bouillie de pixels et de bruit chromatique.

Il fait bien nuit maintenant, mais il faut encore rentrer : les trois autres photographes nous proposent de nous ramener et nous demandent où nous logeons. C’est vraiment sympa, mais nous sommes vraiment à côté et il eut été difficile de rentrer à deux de plus dans leur voiture, donc nous déclinons aimablement. C’est parti pour dix minutes de ballade à la frontale, en prenant bien attention à la glace qui s’est formée sur la route.

Diner au ranch, savoureux mais assez frugal à l’aune de notre coup de fourchette : deux mois en cure ici et je perds vingt kilos 🙂

Demain : faire un tour du côté du lac Toro et retourner le soir voir la chouette s’envoler.


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