Jour 1 : Gimme Shelter

Nous étions venus, entre autres, pour la neige : nous ne sommes pas déçus, parce que même si les grands axes sont dégagés, c’est au prix de murs de neige sur les côtés de la route, qui parfois atteignent le mètre.
Notre première étape, un peu au nord de l’aéroport, est le Akan Crane International Center : un centre d’étude et protection de la grue japonaise, dite Tancho.
Cette espèce endémique était quasiment au bord de l’extinction au début des années 50 : la transformation agraire du pays la privant d’abri de la rigueur des hivers.
C’est alors qu’un fermier du coin eut l’idée de les nourrir, avant que les autorités ne décident de la préservation de la zone marécageuse de Kushiro et de la création d’un programme de sauvegarde de l’espèce.
Evidemment la contrepartie est que l’espèce s’est en partie domestiquée, désormais habituée à se faire nourrir l’hiver, mais nous pouvons néanmoins témoigner que l’été, elle vit sa vie dans son coin à l’abri des marécages.
La particularité de cette espèce, outre son aspect très esthétique, est d’effectuer des sauts qui ressemblent vraiment à des figures de danse classique.
Depuis le début des années 2000 et la sortie du livre de Vincent Munier sur l’espèce en question, il semble que la population photographe occidentale se soit entichée à la fois de l’animal et de l’endroit : Kushiro, en hiver, est fréquentée par le touriste.
La particularité du Akan International Center est d’offrir à qui paie le ticket d’entrée (moins de 4,50€) l’équivalent d’un affût payant sur un enclos où les grues abondent en permanence la journée.
Nous sommes néanmoins venus, en connaissance de cause, à cet endroit en premier pour deux raisons : déjà voir l’animal, nonobstant sa mise en scène proxénète contre la promesse d’une pitance garantie, mais aussi pour vérifier les réglages et prendre ses marques sans avoir à trouver le bon endroit d’abord.
Par contre, ce que nous n’avions pas prévu, c’est à quel point l’endroit est une « usine » à photographes : à notre arrivée à la barrière de l’enclos, une bonne cinquantaine de photographes sont présents, sur 3 niveaux, dans un alignement de trépieds qui rappelle les abords des grands événements sportifs.
Passé le premier réflexe de repartir, nous trouvons tant bien que mal un petit emplacement pas trop mal placé, et nous nous mettons en place.
Heureusement, Mymy peut jouer les électrons libres et cadrer large au 70-200. Moi je suis coincé au 400, que j’alterne avec ou sans doubleur pour cadrer plus ou moins près.
Le vent souffle, glacial, même si la température extérieure est plutôt clémente avec environ -5°C.
Enfin, nous sommes venus pour nous « échauffer » techniquement, et c’est ce que nous faisons.
Je lutte vraiment contre l’envie de partir et tente de profiter malgré tout du spectacle : c’est quelque chose de voir l’animal en vrai, à une vingtaine de mètre, en groupe d’une trentaine d’individus, qui passe effectivement son temps à ne pas rester statique dans le froid, se saluer les uns les autres par un cri caractéristique effectué bec ouvert vers le ciel, et de temps à autre danser quelques secondes.
A chaque pas de danse, la cinquantaine de déclencheurs s’actionne de concert et en rafale, dans une ambiance de montée des marches du festival de Cannes, les flashes en moins.
Le matériel présent sur place est impressionnant : le mien est loin d’être ridicule dans l’absolu, mais là c’est prépondérance de matériel professionnel, où Nikon et Canon ne laissent que des miettes à une concurrence en voie de disparition.
En ce qui me concerne, à part un buffer un peu étriqué pour dépasser la demie-douzaine de secondes en rafale à 1/1600, je ne vois rien à redire 🙂
Combien de personnes présentes sur le site à cet instant sont de réels professionnels ?
Combien font partie de voyages photo organisés, dont les prix sont hallucinants ?
En tous cas, ce n’est pas en se contentant de cet endroit qu’on aura un aperçu intéressant de la vie de cette espèce.
Par contre ce qui est intéressant dans cet endroit est la partie musée d’histoire naturelle, avec une documentation et une exposition sur les espèces endémiques, notamment la grue Tancho.
Comme très souvent sur Hokkaido, c’est vraiment bien fait, et pour tous les âges.
Il y a même une zone pour les enfants avec des jeux en bois.

Nous repartons, non pas déçus, mais confortés dans notre idée que la vérité est ailleurs 🙂
Direction la supérette, le sempiternel 7 Eleven, non seulement pour y chercher un déjeuner rapide (encore gavés des repas de l’avion), mais également y tirer de l’argent.
Puis nous prenons le chemin de l’hôtel : déjà nous signaler (je n’ai pas eu de réponse à mon mail pour annoncer notre retard) et surtout avoir fait le chemin avant la tombée de la nuit.
Ce n’est pas que la route soit longue, mais nous ne savons pas les conditions de circulation et la nuit tombe avant 17h, or il est prudent de ne pas avoir à circuler de nuit sur des routes potentiellement gelées.
L’hôtel se trouve sur la route qui longe à l’ouest la zone marécageuse, celle où les grues s’esbaudissent en toute quiétude l’été venu, mais où la présence de fermes le long de la route nous laisse l’espoir d’en apercevoir dans un environnement plus naturel et moins fréquenté que dans le centre précédent.
Grâce au GPS en anglais, nous trouvons sans souci (bon nous avons aussi des cartes numériques maison, mais le guidage automatique me permet de regarder le paysage) : rappelons qu’au Japon il n’y a pas vraiment d’adresse, ce qui en ferait un système compliqué pour le guidage GPS et, du coup, c’est via le numéro de téléphone de la destination que l’on renseigne l’appareil.
Pour les lieux-dits sans numéro de téléphone, il y a un système dit « mapcode », mais il faut connaitre le numéro à l’avance via une carte ou internet.
Sinon il reste la possibilité de naviguer sur la carte et sélectionner une destination « à la main ».
L’hôtel Yumekobo 96 (sic !) se trouve bien le long de la route principale qui longe à l’ouest la zone marécageuse, dans un hameau constitué de quelques fermes et d’une école élémentaire.
C’est un très bel hôtel, principalement en bois, qui est – comme souvent le cas – tenu par une famille pluri-activités : le grand-père semble conduire le bus scolaire, la grand-mère s’occupe de l’hôtel et aide en cuisine, la mère tient la cuisine, gère les clients anglophones, et semble absente la journée (probablement pour aller faire les courses chaque jour à Kushiro, mais pourquoi pas aussi pour exercer un deuxième métier, comme instit), et le père aide le soir en cuisine pendant le coup de feu.
Les chambres sont petites, mais suffisantes, et charmantes ; le onsen (bain chaud) est le bienvenu ; la cuisine, d’inspiration occidentale, succulente.
Feu de cheminée et coin salon, musique (une clone easy listening de Sarah MacLachlan : sympa, mais c’est toujours le même disque qui passe en boucle !) : franchement sympathique.
La table qui nous est attribuée pour notre séjour fait face à une grande baie vitrée qui donne sur le bosquet derrière l’hôtel : des oiseaux sont systématiquement présents à cet endroit, où une mangeoire a été disposée. Nous comptons bien une demie-douzaine d’espèces différentes, du tout petit moineau au geai plus respectable, et c’est vraiment relaxant de les observer tout en mangeant.
Pour finir cette première journée, nous partons en repérage plus au nord, vers le pont, d’où la vue à l’aube sur le bras de rivière où les grues viennent trouver un peu de « chaleur » pour passer la nuit, est un autre passage « imposé » pour les groupes de photographes.
L’attrait de l’endroit est néanmoins autrement plus grand que l’enclos du centre international : déjà c’est l’environnement naturel des grues, puisque personne ne les incite à venir y dormir, mais c’est aussi potentiellement la chance – lorsque les conditions météorologiques s’y prêtent – de voir un lever de soleil rose violet sur des arbres recouverts de givre.
Un peu plus au nord encore, nous tombons sur un autre enclos, cette fois en libre accès et beaucoup plus ouvert sur l’environnement naturel alentour, où un groupe de grue s’est rassemblé.
Et là, bonheur : point de meute de photographes, notre arrivée en doublant le nombre.
Comme quoi la connaissance du terrain et ne pas hésiter à sortir des sentiers battus…
Note pour plus tard donc : esquiver le centre international et venir là directement.
Retour à l’hôtel pour la sainte trinité du premier soir : bain chaud, diner, dodo.


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